Comment organiser un entrainement d’apnée sur 3 mois.

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Dans un article précédent j’avais promis de revenir sur le planning des entrainements en apnée. Je m’y mets donc aujourd’hui. Avant de commencer, je précise un point (que certains savent et d’autres non) : après un effort, il y a sur-compensation de l’organisme, c’est à dire qu’après avoir récupéré, l’organisme s’est adapté à l’effort demandé et peut aller plus loin. Vous comprenez donc l’intérêt de planifier :

  • Des phases de repos qui vont permettre la sur-compensation (le repos fait partie de l’entrainement),
  • Un entrainement sur 3 mois et d’augmenter, après ce trimestre, les efforts (et donc les objectifs).

Un planning d’entrainement se fait donc, idéalement sur un trimestre (3 mois) et se découpe ainsi :

Entrainement-apnée-compétition-hypercapnie-hypoxie-VO2maxUn point sur les différentes phases :

Le foncier

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Sur cette phase, on travaille en anaérobie (= sans oxygène) a-lactique (= sans production de lactate). Le but est d’optimiser la vascularisation de l’organisme et de l’ensemble des muscles du corps et d’aller chercher sa VO2 max. ce qui permettra de mieux éliminer les lactates par la suite (hypoxie – phase 3).

• La VO2 max. ? C’est quoi ça1

La VO2 max. (consommation maximale d’oxygène) est la quantité d’Oqu’une personne consomme en 1 minute pour produire de l’énergie. Elle se décrit comme l’aptitude maximale d’une personne à capter, transporter et utiliser l’O2 au niveau musculaire. La VO2 max. s’exprime en litre par minute ou en millilitre d’O2 par kilogramme de poids corporel et par minute (ml/O2/kg/mn). La VO2 max. varie selon :

  • Le sexe (homme / femme) : chez la femme elle oscille entre 25 et 70 ml/kg/mn et chez l’homme entre 30 à 90 ml/kg/mn. Cette différence s’explique en partie par un taux d’hémoglobine plus faible chez la femme que chez l’homme ;
  • La génétique (facteurs héréditaires) : si l’on compare 2 coureurs ayant la même corpulence et le même entrainement, l’un fera une performance supérieure, prouvant ainsi (entre autres) que tous les sujets de même corpulence ne dépensent pas la même énergie ;
  • L’âge ;
  • La discipline sportive : les sportifs pratiquant des disciplines « endurantes » tels que le demi-fond et fond en athlétisme, le cyclisme sur route, le ski de fond et l’aviron ont les meilleures VO2  max. Elles avoisinent 70ml/min/kg pour les femmes et 90ml/min/kg pour les hommes ;
  • Le niveau de l’athlète3 :
    • De 30 à 40ml/min/kg : niveau moyen,
    • De 40 à 50ml/min/kg : niveau départemental,
    • De 50 à 60ml/min/kg : niveau régional,
    • De 60 à 70ml/min/kg : niveau national,
    • De 70 à 80ml/min/kg : niveau international,
    • Supérieur à 80ml/min/kg : niveau élite d’exception.

La VO2 max. peut être améliorée par l’entrainement.

VO2 max. de personnes ne pratiquant pas de sport (selon l’âge et le sexe)2

entrainement-apnée-VO2MAX-foncier-anaérobie-alactique

 

VO2 max. de personnes sportives (selon l’âge et le sexe)2

entrainement-apnee-anaérobie-alactique-VO2max-sportifs

 

• Importance de la vascularisation de l’organisme et de la VO2 max. Un coureur ayant une VO2 max. moyenne peut réaliser une performance bien supérieure à un coureur ayant une VO2 max. supérieure grâce à un meilleur rendement musculaire, qui engendre une meilleure dépense d’énergie (= meilleure vascularisation de l’organisme).

Revenons à notre filière anaérobie a-lactique. Pendant un effort intense et bref, le mécanisme d’anaérobie a-lactique dégrade directement l’ATP (Adénosine TriPhosphate) du muscle pour produire de l’énergie. La créatine phosphate contenue dans les cellules prend ensuite le relai pour produire l’ATP cytoplasmique. Lorsque ces deux réserves d’énergies sont épuisées, le mode anaérobie lactique (= avec production de lactates) prend le relai.

L’anaérobie a-lactique est un métabolisme qui dure entre 3 et 20 secondes : tout exercice dont le temps est supérieur est générateur de lactates. Il s’agit donc (lier phase 1 et phase 2) de mettre en place une préparation physique généralisée en salle, qui alterne entre force pure (exercices intenses et brefs) et endurance :

  • Force pure (anaérobie a-lactique) : il s’agit d’un travail intense et court, pendant lequel vous allez muscler ce qui vous servira dans l’eau : triceps (DNF), cuisses (DYN). J’essaierai de revenir ultérieurement sur des exercices ciblés mais faites-vous idéalement guider par un coach en salle. Le plus important c’est de comprendre par vous-mêmes quels muscles vous servent à la propulsion dans vos disciplines respectives et de les travailler en force pure. Le principe de la force pure est de mettre, littéralement, une « charge » à votre organisme afin que ce dernier sur-compense : vous pourrez ensuite augmenter la difficulté (trimestre suivant). Sur des entrainements de force pure, il faut connaitre votre VRM (Valeur de Résistance Maximale). Un exemple type pour l’estimer : levez des poids / altères en commençant avec un lestage bas (type 20kgs) et en montant progressivement de 5 kilos en 5 kilos (moins si vous affinez). Vous connaissez votre VRM lorsque vous ne pouvez pas lever plus de 10 fois consécutives ce poids. Vous travaillerez donc avec ce lestage pour vos exercices de force pure, en répétant 11 fois l’exercice (séries courtes), avec des bonnes phases de récupération (anaérobie a-lactique). L’intérêt de ces exercices réside dans le fait que, lorsque vous utiliserez, lors d’une performance en apnée, vos muscles ainsi préparés, vous ne les solliciterez qu’à 10% ou 15% de leur potentiel, ce qui vous permettra d’allonger vos distances en réduisant vos efforts.

entrainement-apne-anaérobie-alactique-force-pure

  • Gainage abdominal. Il s’agit, là aussi, de séries courtes dont le but est de vous donner un meilleur hydrodynamisme et de vous permettre de stabiliser votre palmage (particulièrement en monopalme). Plus que des mots, je trouve cette vidéo excellente et vous la partage avec plaisir :

  • Exercices d’assouplissement de la cage thoracique. Il s’agit de séries courtes, dont le but est d’augmenter votre capacité pulmonaire. Je vous en avais parlé dans cet article, qui contient également pas mal d’exercices à réaliser.

apnée, jacquet mayo, pranayama

  • Exercices d’assouplissement du bassin. Vous pouvez pratiquer ces exercices soit avec du gainage, soit avec des postures spécifiques de yoga, soit en cumulant les deux (vous pouvez, par exemple, privilégier les postures de yoga dans votre phase de repos, « affûtage »). L’assouplissement du bassin est fondamental pour les monopalmeurs : plus le bassin est souple, moins vous solliciterez vos genoux à la remontée des fesses, moins vous impacterez votre hydrodynamisme. Je vous mets quelques vidéos ici mais n’hésitez pas à faire vos propres recherches.

 

 

 

 

  • Exercices d’endurance (aérobie). L’intérêt du travail en aérobie tient à la relation entre la VOmax. et la durée de l’apnée. Le travail en aérobie permet d’augmenter les capacités de stockage de l’O2, d’optimiser son transport et d’améliorer la résistance à l’acidose subie pendant l’apnée. Le travail en aérobie : 
    • Augmente la VO2max,  
    • Retarde la production d’acide lactique,
    • Améliore l’utilisation de l’O2 disponible dans l’organisme,
    • Améliore la rétention de CO2 (hypercapnie).

Entrainement natation en aérobie pour préparer son corps à l'apnée

Pour tous ces exercices d’endurance, vous avez le choix : vélo, vélo elliptique, rameur, natation, course à pieds. La natation a l’avantage de faire travailler les muscles inspiratoires et expiratoires (on en parlait ici) et donc d’augmenter votre capacité pulmonaire. Vous pouvez optimiser vos sessions d’endurance en utilisant un masque d’élévation (on en parlait également dans l’article précédent). À titre personnel, je travaille en endurance avec un masque d’élévation, ce qui m’a apporté 3 points concrets :

    • Je n’ai plus de douleurs diaphragmatiques les lendemains de séries hypercapniques à sec, que je les fasse poumons pleins ou vides (spasmes plus violents),
    • Mes spasmes ont évolué : d’impressionnants et indolores à de simples déglutitions la plupart du temps,
    • Très bon cardio lors de mes séances de nage (beaucoup moins d’essoufflement).

« L’entraînement physique aérobie et l’entraînement spécifique d’apnéistes sont complémentaires et indissociables. Ils sont tous deux nécessaires à l’amélioration des performances et de l’aisance4 »

 

L’hypercapnie

foncier-anaérobie-alactique-entrainement-apnee-sportive-hypercapnie

Organisez-vous de telle sorte que vous puissiez faire :

  • 60% de foncier,
  • 40% d’entrainement aérobie.

L’entrainement aérobie à sec : endurance, séries hypercapniques à sec sous toutes leurs formes (en marchant, en courant, en montant les escaliers, allongé sur votre lit), etc.

L’entrainement aérobie dans l’eau : séries hypercapniques.

Les bienfaits de l’hypercapnie :

  • Sortir de sa zone de confort,
  • Se familiariser avec les sensations désagréables de fin d’apnée,
  • Permettre au cerveau de lâcher prise et au corps de prendre le relai (= nage optimisée),
  • Optimiser la technique du palmage,
  • Travailler le mental,
  • Augmenter la résistance au CO2,
  • Augmenter la tolérance au lactate,
  • Augmenter l’endurance de l’apnéiste.

 

L’hypoxie

foncier-anaérobie-alactique-entrainement-apnee-sportive-hypercapnie-hypoxie

La phase d’entrainement en hypoxie correspond à ce que l’on va chercher à faire le jour de la compétition. Il s’agit, à l’inverse de l’hypercapnie (travailler la tolérance au CO2 dans l’organisme – PaCO2), de faire des longues distances en apnée, avec des temps de récupération importants (travailler sur des sensations de fin d’apnée liées à la baisse de l’O2 dans l’organisme – PaO2). Ces performances ne peuvent être réalisées qu’après le travail des phases 1 (FONCIER) et 2 (HYPERCAPNIE), qui auront permis à l’organisme de développer :

  • Une bonne vascularisation, notamment des muscles,
  • Une optimisation de l’allocation de l’O2 disponible pendant un effort musculaire,
  • L’endurance,
  • La tolérance au CO2.

Le but n’est pas de faire la distance maximale que vous ferez le jour de la compétition (cette distance ne sera possible qu’après la phase d’affûtage / repos de l’organisme, qui aura permis une sur-compensation de ce dernier), mais de faire des distances suffisamment longues pour habituer votre organisme à la PaO2, c’est à dire de vous familiariser aux ressentis physique sur ces distances.

Bon à savoir : si vous pouvez faire 2 fois votre distance max. à l’entrainement, c’est que cette distance n’est pas votre max.

Exemple d’une séance hypoxique (pyramide) :

  • Préparation à sec : enchainer 3 apnées poumons vides de 15′, 30′, 45′ et 1 minute, puis mise à l’eau ;
  • 50 mètres DYN ou DNF en apnée ;
  • 75 mètres DYN ou DNF en apnée ;
  • 100 mètres DYN ou DNF en apnée, avec 2 inspirations possibles, où vous voulez (au 50 ou au 75) ;
  • 125 mètres DYN ou DNF en apnée, avec 4 inspirations possibles, où vous voulez ;
  • 100 mètres DYN ou DNF en apnée,
  • 75 mètres DYN ou DNF en apnée ;
  • 50 mètres DYN ou DNF en apnée.

 

L’affûtage

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C’est la phase de repos. Fondamentale, elle permet au corps de sur-compenser et de récupérer : après cette phase, l’apnéiste pourra réaliser une performance.

principe de la surcompensation dans l'entrainement du sportif et de l'apnéiste

Selon l’intensité des efforts fournis en amont, cette phase peut durer jusqu’à 3 semaines. L’idée n’est pas d’arrêter de s’entrainer mais de réduire la charge de travail pendant cette phase, pour permettre à l’organisme de récupérer.

À l’issue de cette période, l’apnéiste sera capable :

  • De réaliser une performance lors de sa compétition,
  • D’augmenter ses objectifs sportifs pour le trimestre suivant.

schéma du principe de la surcompensation chez le sportif

La compétition

En apnée, plusieurs facteurs sont garants de la performance :

  • Le mental,
  • La physiologie,
  • La technique,
  • L’entrainement,
  • Les conditions extérieures,
  • La tactique.

On peut avoir passé énormément de temps à s’entrainer et n’être pas en forme le jour J : fatigue, soucis personnels, difficultés à lâcher prise, difficulté à calmer son rythme cardiaque, stress, etc. jouent contre le sportif. L’apnéiste devra s’en tenir à une règle : faire une performance à la forme du jour. L’idée n’est pas d’aller à la syncope, mais d’aller là où l’on peut, ce jour là, aller. Une syncope, c’est 6 mois d’entrainement qui partent à la trappe : restez à l’écoute de votre corps.

La digestion mobilise 60% de l’O2 sanguin : mangez au minimum 4 à 5 heures avant la compétition. Privilégiez des fruits secs, des fibres, des pâtes complètes et bannissez les sucres rapides, particulièrement 30 minutes avant votre performance : en stimulant l’insuline, vous allez créer une hypoglycémie réactionnelle, c’est à dire un « coup de barre ».

Le stress, l’attente sur le bord du bassin entrainent une surconsommation de glucose : emportez une boisson type fond de jus de raisin + eau ou eau + un peu de miel et buvez-en des petites gorgées régulièrement (toutes les 10 minutes). Profitez de ces moments d’attente pour faire des étirements diaphragmatiques, du yoga, de la visualisation.

J’espère que ces quelques lignes vous permettront de mieux organiser vos entrainements et d’augmenter vos performances. Bonne apnée à tous !

 

——

1 Amandine et Jean-Claude Le Cornec

2 Wilmore et JH Costill DL. (2005)

3 Christian Vaast, Les fondamentaux du cyclisme: Programmer et gérer son entraînement, Volume 2 (2008)

4 Lemaitre (2005)

 

Sources :

Wikipédia

© Daan Verhoeven – image principale de l’article

 

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