Facteurs responsables de la durée de l’apnée et points de rupture

Alex Voyer, Marianne Aventurier en compagnie de dauphins

En apnée, les performances et les records humains restent très éloignés des aptitudes des animaux aquatiques :

  • Le rat musqué, excellent nageur, peut parcourir jusqu’à 100 mètres sous l’eau en apnée et tenir près de 15 minutes s’il se sent menacé.

  • Le castor, rongeur semi-aquatique à queue plate, peut également tenir jusqu’à 15 minutes en apnée.

  • Le cachalot, lui, peut effectuer des apnées de 75 minutes et réalise jusqu’à vingt plongées, jusqu’à 1 100 mètres de profondeur, en vingt-quatre heures. Le grand cachalot bat tous les records et peut atteindre 2 500 mètres de profondeur : il résiste à la pression grâce à une cage thoracique très flexible et un rete mirabile qui compense la diminution du volume des alvéoles pulmonaires par un afflux de sang incompressible.

  • La baleine est la grande gagnante du record d’apnée : 120 minutes.

Chez l’homme, la durée de l’apnée volontaire dépend de facteurs qui agissent en interaction et regroupe des influences d’origines diverses. On retrouve ainsi des facteurs d’origines :

  • Mécaniques : les volumes pulmonaires,

volume respiratoire de réserve, volume pulmonaire, capacité vitale, volumé de réserve

 

  • Chimiques : la tolérance à l’hypoxie (PaO2) et à l’hypercapnie (PaCO2),

ventilation et hyperventilation chez l'apnéiste : risques de syncope

  • Dynamiques : les contractions involontaires du diaphragme (spasmes diaphragmatiques),

  • Psychologiques : la motivation, le stress, les émotions ressenties (stress, excitation, motivation) pendant une compétition et la gestion de ces émotions,
  • Extérieurs : les entraînements et les exercices musculaires. L’entraînement permet certaines adaptations qui modifient le point de rupture de l’apnée et augmentent sa durée, en :
    • Baissant la sensibilité au CO2,
    • Retardant et minimisant les spasmes diaphragmatiques.

L’apnée témoigne d’une maîtrise et d’une adaptation volontaire du contrôle de la ventilation. La pratique de l’apnée nécessite de connaître les différentes adaptations possibles chez l’homme comme :

> Les modifications cardiaques et circulatoires liées au réflexe de plongée, « diving response ».

  • La bradycardie réflexe : C’est le ralentissement du rythme cardiaque, qui résulte de l’immersion (particulièrement du visage) et de l’apnée. Elle témoigne d’une adaptation de l’organisme à la plongée en apnée, dans le but d’économiser l’oxygène. On observe, pendant la bradycardie réflexe, une réduction de la consommation d’O2 ainsi qu’une désaturation moins rapide de l’hémoglobine. La bradycardie réflexe est d’autant plus importante que l’eau est froide. Elle débute dès les premières secondes de l’immersion et atteint son intensité maximale à partir de la vingtième seconde de l’immersion. Sur le premier schéma1, localisation, sur le visage, des récepteurs cutanés thermosensibles (au froid, entourés d’un cercle ; au chaud, non cerclés). Les chiffres indiquent leur nombre par cm² de peau. Sur le second schéma2, après immersion du visage dans un bain d’eau à différentes températures, les courbes montrent, pour chaque température, l’évolution temporelle de la fréquence cardiaque en pourcentage de la fréquence de repos.

 

La bradycardie réflexe est favorisée par : le jeune âge, le froid, l’entrainement (qui augmente la réponse bradycardique à l’apnée alors que la réponse à l’immersion de la face n’est pas améliorée), la profondeur.

La bradycardie réflexe est limitée par : l’exercice (diminue la bradycardie sans l’annuler, ce qui signifie qu’au cours d’une apnée, les impératifs de l’apnée l’emportent sur la nécessité du travail musculaire), la manoeuvre de Valsalva, l’hyperventilation.

  • La vasoconstriction périphérique : il s’agit d’un mécanisme de diminution du diamètre des vaisseaux sanguins, entrainant une restriction de la circulation du sang dans les organes périphériques – qui résistent mieux à l’asphyxie – pour privilégier les organes vitaux : cerveau, cœur, poumons. La vasoconstriction observée lors d’une apnée a plusieurs intérêts :
    • Elle compense la bradycardie en maintenant la pression artérielle (qui augmente progressivement jusqu’à 20% au cours de l’apnée),
    • La vasoconstriction musculaire permet de conserver, sur le lieu de production, les déchets acides résultant des métabolismes oxydatifs (CO2, lactates), retardant de ce fait l’acidose métabolique jusqu’à la reprise respiratoire. Le muscle travaille en anaérobiose presque totalement pendant la plongée.

> Les modifications ventilatoires d’origines mécaniques, chimiques, dynamiques et psychologiques qui provoquent la rupture plus ou moins tardive de l’apnée.

Facteurs responsables de la durée de l’apnée dans l’air

La durée de l’apnée dans l’air dépend de plusieurs facteurs3,4,5,6 :

Les facteurs mécaniques

  • Les volumes pulmonaires

> Volume pulmonaire et durée de l’apnée : il existe une relation directe entre le volume pulmonaire au début de l’apnée et la durée de l’apnée. Plus le volume pulmonaire est grand, plus l’apnéiste emmagasine de l’air avant l’apnée, ce qui joue sur la durée de l’apnée, plus longue (nous rappelle l’adaptation physiologique des Bajau d’Indonésie, « nomades des mers », qui passent 60% de leur temps dans l’eau et dont la cage thoracique est plus développée que chez d’autres peuples plongeurs). L’entrainement de l’apnéiste consistera donc, en partie, à développer sa capacité pulmonaire par l’assouplissement de sa cage thoracique.

> Volume pulmonaire et échanges gazeuxle volume pulmonaire intervient également au niveau des échanges gazeux, en modifiant les seuils de tolérance des gaz respirés. Plus les volumes pulmonaires initiaux sont grands, plus la PACO2 est grande et la PAO2 petite au point de rupture de l’apnée, ce qui augmente la durée l’apnée.

> Capacités de stockage du gaz carbonique (CO2) : 120 à 150 litres de COpeuvent être stockés plus ou moins rapidement, disponibles selon les tissus (sang, tissus mous, os et graisses). Cette grande capacité de stockage du CO2 permet de diminuer la PaCO2 et d’augmenter le pH sanguin par une hyperventilation. Rappelons que l’hyperventilation est interdite car à l’origine de nombreuses syncopes hypoxiques. Dans les faits, il s’agit de sur-oxygéner l’organisme avant une apnée, en pratiquant des inspirations amples et forcées et en augmentant la fréquence ventilatoire. L’hyperventilation entraine une modification du pH sanguin (alcalose) ainsi qu’un changement des proportions de gaz dans le sang :

  • Fort taux d’O2,
  • Baisse du taux de CO2. Or c’est la PaCO2 qui déclenche la rupture de l’apnée et l’envie de ventiler.

Lors d’une apnée sans hyperventilation, la PaCO2 se manifeste avant la PaO2 qui, elle, déclenche la samba voire la syncope. Ainsi, dans une apnée avec hyperventilation, la syncope se manifestera avant les signes annonciateurs d’une rupture d’apnée : spasmes, jambes lourdes, lactate, besoin pressant de ventiler. En d’autres termes, l’apnéiste ne voit pas arriver l’accident. En 2019, le règlement des compétitions a évolué une nouvelle fois, bannissant l’hyperventilation avant une performance.

ventilation et hyperventilation chez l'apnéiste : risques de syncope

Facteurs chimiques : échanges alvéolo-capillaires pendant l’apnée dans l’air

Lors d’une apnée, la PAO2 diminue et la PACO2 augmente au fur et à mesure que le temps s’écoule7, 8, 9. Ces variations ont pour conséquence une baisse progressive des gradients de pression alvéolo-capillaires :

  • Après environ 4 minutes d’apnée au repos, les gradients entre PAO2, PaO2 et PVO2 s’égalisent et l’effort musculaire accélère ce processus,
  • Les pressions partielles alvéolaires de gaz carbonique s’élèvent rapidement au début de l’apnée, puis tendent vers une asymptote (entre 55 et 60 mmHg),
  • PACOet PaCO2 s’égalisent environ après 1 minute d’apnée.

La rupture de l’apnée est liée aux seuils de tolérances individuels à l’hypercapnie et à l’hypoxie sous l’effet des pressions partielles du CO2 et de l’O2.

Alex Voyer, photo galerie Apnée, photo sous-marine, photo Diatomée, photo apnée

Facteurs dynamiques

L’absence de ventilation pendant l’apnée entraine une absence de mouvement thoracique qui provoque des contractions musculaires involontaires : les spasmes diaphragmatiques. Ces manifestations diffèrent, d’un individu à l’autre :

  • Certains apnéistes ne ressentent pas de spasmes,
  • D’autres ressentent « une simple pulsation dans la gorge »,
  • D’autres ont des spasmes diaphragmatiques impressionnants et indolores,
  • D’autres encore ont des spasmes diaphragmatiques impressionnants et douloureux.

Lorsqu’ils sont ressentis physiquement, ces spasmes peuvent accélérer la rupture de l’apnée. Chaque apnéiste aura alors ses propres techniques pour « passer outre » ces spasmes musculaires :

  • Compter les spasmes en se promettant de sortir au cinquantième, par exemple,
  • Techniques de déglutition ou de mouvements qui s’apparentent à des faibles mouvements respiratoires,
  • S’enfoncer plus profondément dans le voyage intérieur à chaque nouveau spasme,
  • Déclencher volontairement ces spasmes au début de l’apnée, pour « biaiser » le cerveau et se débarrasser rapidement de cet inconfort.

Plus l’apnéiste sera expérimenté, plus les spasmes se manifesteront tardivement dans l’apnée. Les spasmes sont déclenchés par les variations progressives de la PaCO2 et de la PaO2, d’où l’importance pour le plongeur d’augmenter ses seuils de tolérance à l’hypercapnie et à l’hypoxie, notamment à l’entraînement.

Facteurs psychologiques : contrôle corticale volontaire

Au moment où l’apnéiste ressent le besoin de ventiler, la volonté, la motivation, l’envie de connaître ses limites et/ou de les dépasser (dans le cas d’une compétition par exemple), peuvent prolonger la durée de l’apnée. Les durées d’apnées peuvent varier de 20 à 270 secondes d’un sujet à l’autre et chez le même sujet d’une séance à l’autre.

Ce contrôle volontaire cortical de l’activité respiratoire joue un rôle essentiel dans la rapidité des progrès obtenus lors des séances d’entraînement, sur plusieurs niveaux :

  • En sortant de sa « zone de confort », on habitue le corps à de nouvelles sensations et on repousse progressivement ses limites physiques,
  • Mentalement, on ressort d’une telle séance avec le sentiment d’avoir « réalisé quelque chose d’impossible », ce qui contribue à renforcer le mental, facteur clé de la réussite en apnée,
  • On entre dans une dynamique on l’on cherchera toujours à « faire mieux ».

Il reste cependant fondamental de se connaitre et de réaliser des performances « à la forme du jour » : tout accident impacte mentalement l’apnéiste qui pourra avoir des difficultés à revenir sur des distances où il a eu un accident (mauvais ressenti, sensations négatives).

Facteurs extérieurs

À l’issu d’une apnée pendant un exercice musculaire, les valeurs de PACO2 sont plus élevées et celles de PAO2 sont plus faibles qu’à l’issu d’une apnée statique (sans effort musculaire). L’exercice musculaire, réalisé avant et/ou pendant l’apnée, augmente la consommation d’O2 et diminue la durée de l’apnée.

Les répétitions successives d’apnées liées à l’entraînement seraient à l’origine de l’amélioration de la performance. Mais les effets de l’entraînement sont temporaires.

Points de rupture physiologique et conventionnel de l’apnée

Tous les facteurs précédents agissent en interaction et provoque la rupture de l’apnée. On distingue :

  • Un point de rupture physiologique. Il se situe à la fin de phase d’aisance ou zone de confort, c’est à dire le moment compris entre :
    • Le début de l’apnée,
    • Le début des contractions diaphragmatiques involontaires.

    Dans cette phase, les stimuli chimiques (PaO2 et PaCO2) interviennent seuls sur la régulation de la ventilation. Ces différents stimuli n’ont pas la même valeur fonctionnelle, celui du CO2 est prépondérant. Plus l’apnéiste est entrainé, plus cette phase va durer (par exemple, lors de son record du monde d’apnée statique de 11 minutes et 35 secondes, Stéphane Mifsud explique que cette phase dure environ 3 minutes et 30 secondes, il entre ensuite dans la phase du point de rupture conventionnel).

  • Un point de rupture conventionnel. C’est « l’inconnu connu » : on sait que la phase de lutte va arriver (« connu ») mais on ne sait pas quand elle va arriver (« l’inconnu »). La phase de lutte ou zone d’inconfort est le moment compris entre le point de rupture physiologique et la reprise ventilatoire. Malgré les spasmes diaphragmatiques (rupture physiologique), la ventilation n’est pas reprise. La phase de lutte débute pour :
    • Des PCOentre 46 et 50 mmHg mais semble indépendante de la PAO2 pour des valeurs supérieures à 75-80 mmHg,
    • Les contractions diaphragmatiques apparaissent pour une PACOentre 47 et 48 mmHg sous oxygène pur, quel que soit le volume pulmonaire initial,
    • Le point de rupture conventionnel intervient, selon les sujets, pour une PACOcomprise entre 50 et 91 mmHg.

L’intervention des facteurs chimiques dans la rupture de l’apnée est donc minimisée au profit des facteurs dynamiques caractérisés par ces contractions diaphragmatiques à l’origine du besoin de respirer.

Pour l’apnéiste qui souhaite développer ses performances, il semble donc fondamental de travailler différents points, qui vont interagir ensemble :

  • Son volume pulmonaire,
  • L’assouplissement de sa cage thoracique, qui viendra également « assouplir » les spasmes diaphragmatiques,
  • Ses seuils de tolérance hypoxique et hypercapnique,
  • La gestion de ses émotions (qui impactent directement le rythme cardiaque),
  • Son mental et la capacité à aller dans sa zone d’inconfort pour progresser et repousser ses limites.

Dans cet article, vous pourrez trouvez quelques clés pour orienter votre entrainement.

__________

1 Corriol J.H – La plongée en apnée, physiologie et médecine, 3ème édition, Masson, Paris, 2002

2 Corriol J.H & Rohner J.J – Rôle de la température de l’eau dans la bradycardie d’immersion de la face, CNRS, 1968

3 Godfrey S, Campbell EJM, Mechanical and chemical control of breath holdingQuart J Exp Physiol 1969

4 Godfrey S, Campbell EJM, The control of breath holdingRespir Physiol 1968

5 Courteix D, Lamendin H, Facteurs determinants de la rupture de l’apnée volontaire (évolution de modèles), Sciences & Sports 1992

6 Courteix D, Bedu M, Fellmann N, Heraud MC, Coudert J, Chemical and non chemical stimulus during breath holding in divers are not independent1993

7 Lanphier EH, Rahn H, Alveolar gas exchange during breath hold divingJ Appl Physiol 1963

8 Lanphier EH, Rahn H, Alveolar gas exchange during breath holding with airJ Appl Physiol 1963

9 Craig AB, Harley AD, Alveolar gas exchanges during breath hold diveJ Appl Physiol 1968

 

Sources

© Alex Voyer – Photo principale de l’article

© Paul Wolf – Photographie d’une baleine

© Alex Voyer – Mermaid of Ze Day

L’équipe de Physiologie du CHU Rouen, Adaptations respiratoires chez le plongeur en apnée, Revue des Maladies Respiratoires, Avril 2002

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