Cet article prend ses sources dans l’essai publié par Mateusz Malina une année après avoir été testé positif aux bêta-bloquants à la compétition de Fazza. Vous trouverez cet article, dans sa version originale, ici. Je vous invite vivement à le lire car il a l’avantage de poser un questionnement intéressant : si l’apnée est un sport qui permet de sonder ses propres limites physiologiques et si, dans ce sport, nous sommes à nous-mêmes notre propre challenger (toute la beauté et la philosophie de l’apnée, en somme), quel serait l’intérêt de prendre ce type de produits ? Quand bien même la prise de produits dopants ne serait pas interdite (et donc, de facto, autorisée) sur une compétition (comme c’était le cas sur celle de Fazza puisqu’aucun règlement n’y était précisé et qu’elle n’était ni CMAS ni AIDA initialement), quel bénéfice, quelle fierté retirer d’une performance réalisée avec ce type de produits au regard de tous les autres athlètes qui, alignés à côté, n’auraient rien pris, eux ? Voire, est-ce que cela ne risque pas, au final, de ternir l’image et les mérites de l’athlète dont, finalement, on risque de ne retenir que cela alors même que ces produits permettent d’optimiser un réel travail de fond pendant de nombreuses années (comme me dirait mon père « ce n’est pas le matos qui fait l’athlète », hein) ?
Bref. Un article sur le sujet me semblait approprié, d’autant plus que je n’en vois pas beaucoup passer sur ce thème. Peut-être que le jour où un apnéiste fera 13 minutes en statique le sujet commencera à sortir. Car il serait bien dommage de ternir la philosophie de ce sport pour des temps et des distances qui, de toutes façons, finiront bien par mettre la puce à l’oreille. Car, par définition, dans l’apnée, il y a une limite. Pour tout le monde.
Les drogues de « performance » et les bêtabloquants, dans l’apnée
Pour optimiser les performances sportives, certains athlètes d’élite peuvent être amenés à prendre des « drogues de performance ». Quelles pourraient être ces drogues ? On en distingue 3 types : les bêtabloquants, l’EPO et les stéroïdes.
• Les bêtabloquants
Les bêta-bloquants sont des médicaments habituellement utilisés pour réguler le rythme cardiaque, abaisser la tension artérielle et le niveau de stress ainsi que ralentir le métabolisme. Ils sont considérés comme dopants dans les sports de précision tels que le sport automobile, le saut à ski ou bien encore l’apnée car leurs actions cardiaques permettent l’amélioration des performances et une hausse conjointe de la concentration.
• L’EPO
L’érythropoïétine (EPO) est substance présente naturellement dans notre corps (produite par le rein et le foie), qui contribue à la fabrication des globules rouges. La version médicamenteuse de l’EPO a été développée pour aider les patients atteints de cancer et ceux souffrant d’anémie sévère due à des traitements et à des processus pathologiques. Plus il y a de globules rouges, plus il y a d’oxygène disponible dans le sang, ce qui est particulièrement important pour la plongée en profondeur car l’oxygène supplémentaire n’entraîne pas de flottabilité supplémentaire.
Un moyen naturel d’augmenter les niveaux d’EPO est de s’exposer à l’altitude. C’est ce qu’on appelle l’entraînement en altitude. Il existe différentes stratégies :
- S’entraîner en altitude (plus de 2 000 mètres) et dormir en altitude ;
- S’entraîner en altitude et dormir au niveau de la mer ;
- S’entraîner au niveau de la mer et dormir en altitude.
Les résultats peuvent être mitigés. En effet, il s’avère que certaines personnes réagissent mal à l’altitude, c’est-à-dire que même si elles y sont exposées, leur corps ne produit pas plus d’EPO, ce qui fait qu’elles n’obtiennent pas de meilleurs taux sanguins (nombre de globules rouges, hématocrite, hémoglobine). D’autre part, en altitude, le sommeil est moins efficace et l’entraînement physique ne peut pas être effectué avec la même intensité qu’au niveau de la mer. Si vous en avez le temps (et surtout l’envie !), une façon simple de tester serait d’essayer chacune de ces 3 stratégies, sur un trimestre chacune et de faire régulièrement des bilans sanguins pour valider ce qui fonctionne ou non sur vous.
Enfin, pour ceux qui n’ont pas la possibilité de faire des entrainements en altitude, qui n’ont pas envie de prendre de l’EPO (ahaha :-), il existe également la possibilité d’acheter une tente hypoxique. Il s’agit d’une tente qui stimule les conditions de haute altitude (enfin pas exactement, mais c’est l’idée quand même), mais chez vous, dans votre salon. Cependant, les études sur le sujet ne sont pas vraiment concluantes. Là encore, à tester. Le masque, en revanche est une foutaise (j’avais fait un article sur le sujet ici).
Tous les apnéistes veulent augmenter leur taux sanguin en s’entraînant. En théorie, on nous a appris qu’un entraînement intensif à l’apnée pouvait améliorer considérablement notre taux sanguin. En pratique, ce n’est pas si facile. Actuellement, les études et les discussions web disponibles sur le sujet témoignent qu’aucun apnéiste d’élite (Pologne, Croatie, Russie) a un taux d’hématocrite de 50% et un taux d’hémoglobine de 17 – 17,5+. Ils ont tous des niveaux sanguins moyens. D’autre part, avec l’âge, les niveaux naturels de testostérone et d’hormone de croissance diminuent, ce qui rend encore plus difficile la possibilité d’augmenter les paramètres sanguins.
• Les stéroïdes
Les stéroïdes entraînent une hausse de la testostérone et de l’hormone de croissance. Ils agissent de la même manière que l’EPO, mais au lieu de se limiter aux globules rouges, c’est tout le corps qui devient plus fort (notamment les muscles) et de nouveaux globules rouges sont également créés. Tout cela contribue à accélérer la récupération. Pour l’endurance, les athlètes doivent augmenter :
- Le nombre de globules rouges (ils véhiculent l’hémoglobine qui transfèrent l’oxygène des poumons aux tissus),
- L’hémoglobine (libère l’oxygène dans les tissus afin d’y permettre la respiration cellulaire),
- L’hématocrite (taux de globules rouges dans le sang).
Les globules rouges de notre corps vivent environ 120 jours (4 mois). Cela signifie qu’après cette période, le sang reviendra à des valeurs moyennes si le stimulus qui a conduit à l’augmentation des niveaux sanguins n’est plus présent. L’idée qu’une personne utilise des drogues de performance deux mois avant la compétition, obtient un meilleur taux sanguin, puis arrête l’EPO/les stéroïdes est valable, mais cela signifierait que cette personne a des taux sanguins élevés avant, pendant et quelque temps après la compétition. Il ne s’agit pas d’un truc magique où quelqu’un prend des médicaments et où les niveaux sanguins augmentent en quelques jours. En outre, il faut des semaines (sinon des mois) d’entraînement pour obtenir ces variables.
• L’oxygène pur
On pourrait sans doute également citer aussi l’oxygène pur pour les compétitions en piscine, parfaitement indétectable aux contrôles. Encore faudrait-il trouver une façon de l’inspirer quelques bonnes minutes avant la prise de performance, chose qui me semble difficile aujourd’hui. Pour l’anecdote, je me souviens d’une expérience faite en bloc opératoire, sur un patient fumeur et alcoolique, anesthésié (sous oxygène pur) : en débranchant la machine de ventilation, nous avons constaté que ce patient, qui avait pourtant une forme physique discutable, avait tenu quelque chose comme 6’30 en apnée avant de commencer à dé-saturer. Dès lors que la dé-saturation avait commencé, elle a ensuite été très rapide. Nous avons – bien sûr – rebrancher immédiatement la machine (cette expérience n’a aucune fin malheureuse et le patient était consentant, c’est pourquoi j’en parle ici). Tout ça pour souligner l’efficacité de l’oxygène pur (et d’un mental calme, je rappelle qu’il était endormi 😉 mais davantage utilisée il me semble pour récupérer après des entrainements engageants.
La réglementation sur l’utilisation des bêtabloquants pendant les compétitions
En apnée, il existe 2 fédérations : l’AIDA (qui n’est pas signataire de la WADA – l’agence mondiale du contrôle anti-dopage) et la CMAS (qui en est signataire depuis le 1er Janvier 2015). Depuis le 1er Janvier 2015, CMAS et AIDA ont le même règlement anti-dopage, mais cela n’a pas toujours été le cas : la CMAS a été moins rapide pour actualiser son règlement et, jusqu’en Décembre 2014, les bêta-bloquants n’étaient pas recherchés lors des tests anti-dopage réalisés sur les compétitions CMAS. Ce qui n’est pas interdit est autorisé.
• Le règlement de l’AIDA et les tests anti-dopage
Les bêta-bloquants sont interdits des compétitions AIDA depuis les années 2000, peut-être même depuis plus longtemps, avec des contrôles réguliers et rigoureux des athlètes. L’AIDA n’est pas signataire de la WADA : son règlement – qui est cependant le même que celui de la WADA sur ce point – lui est propre et elle paie des laboratoires indépendants pour procéder aux contrôles aléatoires des athlètes, lors des compétitions. L’AIDA procède ainsi à des tests anti-dopage à chaque compétition internationale et chaque apnéiste réalisant un record mondial est systématiquement testé. Aux championnats du monde, les apnéistes présents sur le podium, hommes et femmes, dans chaque discipline, sont systématiquement testés. À cela s’ajoute une sélection aléatoire d’athlètes qui sont également testés.
• Le règlement actualisé de la CMAS et les tests anti-dopage
L’Agence mondiale anti-dopage (World Anti Doping Agency ou WADA) a publié une mise à jour des substances dopantes interdites dans tous les sports ainsi qu’une liste additionnelle de substances dopantes interdites pour certains sports en particulier. Concernant les bêtabloquants et l’apnée dans les compétitions CMAS, la WADA est sans équivoque :
« Les bêta-bloquants sont interdits en compétition seulement, dans les sports suivants et aussi interdits hors compétition si indiqué : (…) Sports aquatiques (CMAS) pour l’apnée dynamique avec ou sans palme, l’apnée en immersion libre, l’apnée en poids constant avec ou sans palmes, l’apnée en poids variable, l’apnée Jump Blue, l’apnée statique, la chasse sous-marine et le tir sur cible. »
Ainsi, depuis le 1er Janvier 2015, les bêta-bloquants sont interdits sur les compétitions CMAS. Ce qui signifie qu’avant cette date, les apnéistes étaient libres d’utiliser des bêta-bloquants sur les compétitions CMAS (une question se pose alors : que « valent » les records mondiaux établis avant 2015 sur les compétitions CMAS ?). La CMAS procède maintenant à des tests anti-dopage, mais les contrôles réalisés sont contestés. Dans le document cité en introduction, il y est précisé que, depuis le 1er Janvier 2015, tous les records du monde n’ont pas fait ou ne font pas l’objet de contrôles antidopage de la part de la CMAS ; lors des championnats du Monde et d’Europe, seuls quelques athlètes sélectionnés au hasard ont été testés depuis 2015. D’autre part, il est également précisé que le contrôle anti-dopage n’a lieu qu’au troisième jour des Mondiaux et que ce fait est largement connu des athlètes. En quoi cette information est-elle importante ? Car les bêta-bloquants sont rapidement métabolisés par l’organisme (entre 24 et 48 heures) et qu’ils deviennent ainsi rapidement indétectables si les tests sont effectués au troisième jour de la compétition. Cette réalité était encore d’actualité aux Mondiaux de 2021.
• Existe-t-il d’autres règlements ?
Toute personne peut organiser une compétition privée d’apnée, élaborer et publier son propre règlement et informer les athlètes de ce dernier. C’est plus ou moins le cas de la compétition de Fazza (à ceci près qu’elle n’avait pas de réglement).
Pourquoi les bêta-bloquants ne sont pas interdits pendant les entrainements ?
Les bêta-bloquants sont couramment utilisés par les acteurs, les conférenciers et, de manière plus générale, les personnes sujettes au stress. Dans le règlement AIDA tout autant que dans le règlement de la WADA, les bêta-bloquants ne sont pas interdits lors des entrainements d’apnée car ils ne sont alors pas considérés comme des produits dopants dans ce cadre-là, pour les raisons suivantes :
- Ils sont rapidement métabolisés par l’organisme, dans les 24 à 48 heures ;
- Ainsi, ils n’offrent pas des effets de long terme lorsqu’ils sont utilisés pendant la saison d’entrainement (leurs effets cessent sous 24 à 48 heures). Ils ne sont donc pas effectifs dans l’organisme en dehors de ce délai et ne permettent donc pas d’obtenir un effet d’entrainement à long terme.
En d’autres termes, si un athlète est sélectionné, pendant sa période d’entrainement, pour un test anti-dopage (CMAS / AIDA) et que ce test est positif aux bêta-bloquants, cela ne pose aucun problème et ne sera pas considéré comme du dopage, ce qui ne serait pas le cas lors d’une compétition.
Existerait-il, alors, une façon de tester réellement les athlètes ?
Oui, si l’on souhaite s’en donner la peine et faire valoir le mérite des apnéistes honnêtes qui sacrifient beaucoup de leur temps pour progresser dans leur passion. Outre la procédure de test anti-dopage de l’AIDA, relativement efficace, une autre pourrait être mise en place : soumettre les athlètes à des contrôles aléatoires de dopage tout au long de l’année. Ce serait encore mieux s’ils disposaient également d’un passeport sanguin (contrôle du sang en même temps que de l’urine). La WADA dispose d’un tel programme, appelé WADA ADAMS, dans lequel les athlètes doivent indiquer leur adresse et leur disponibilité pour un créneau d’une heure par jour, tous les jours, pendant lequel les agents antidopage peuvent venir au hasard et prélever un échantillon pour l’analyser. Cette procédure n’est pas mise en place dans l’apnée.
Ajout du 4 Juillet 2023
Le 4 Juillet 2023, dans le respect des règles et de la procédure du Vertical Blue, que tous les athlètes participants ont signé au moment de leur enregistrement, 3 athlètes croates dont Vitomir Maricic et Petar Klovar ont subi un contrôle de leurs bagages à leur arrivée à Long Island, aux Bahamas. Durant la fouille, 4 drogues de synthèse (médicaments) connues pour booster les performances ont été retrouvées dans leurs affaires, dont des substances interdites par la WADA pour tous les sports, ainsi que d’autres médicaments plus connus dans le domaine de l’apnée, qui sont bannies du règlement du Vertical Blue. La vidéo ci-dessous montre la scène. Les athlètes en question reconnaissent également avoir pris ces drogues récemment et qu’elles seraient susceptibles d’être détectable dans leur organisme dans le cadre d’un contrôle anti-dopage. Ces athlètes ont été bannis du Vertical Blue 2023 et des futurs événements du Vertical Blue et un rapport est en rédaction pour être transmis au comité disciplinaire de l’AIDA.
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Photo principale de l’article : Alex Voyer.