Oreille du plongeur : perte auditive et méthodes d’équilibrage

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L’examen ORL est fondamental en plongée car, si la pathologie ORL est rarement source d’affections graves pouvant compromettre la vie du plongeur, les lésions barotraumatiques de la sphère ORL sont souvent très douloureuses ou fortement déstabilisantes (vertiges). Les barotraumatismes de l’oreille moyenne et de l’oreille interne (audition et/ou équilibre) ainsi que du sinus – source de douleur crânienne intense à la remontée – sont bien connus des « vieux plongeurs », qui savent souvent éviter ces problèmes. Nous ne nous attarderons pas sur ces symptômes, décrits un peu partout.

Une étude récente1 révèle une atteinte auditive très fréquente, survenant bien souvent à bas bruit dans les fréquences 4 000Hz et 8 000Hz (fréquences aigües) et d’autant plus systématique que le plongeur est un « vieux plongeur ».

On sait depuis longtemps que les équilibrages répétés, même pratiqués de façon indolore et aisée, particulièrement chez les encadrants devant réaliser – pour leur enseignement – des « yoyos », favorisaient certainement cette lésion au cours d’une carrière bien remplie. Mais tous les ORL savent aussi que les premières fréquences touchées chez les sujets d’un certain âge sont les 4 000Hz et les 8 000Hz, conséquence d’une presbyacousie débutante (vieillesse de l’oreille). Tous savent aussi que les premières fréquences touchées en cas de traumatismes sonore sont également ces fréquences et, dans ce cas, on a affaire à des sujets jeunes, présentant des barotraumatismes sonores dans un contexte facile à retrouver.

Quelle explication ?

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L’étrier, qui transmet le son perçu, de l’oreille moyenne dans l’oreille interne via la fenêtre ovale, se situe très près de la base de la cochlée (organe de l’audition ayant l’allure d’un limaçon faisant deux tours et demi de spires). Or,c’est à ce niveau que se trouvent les cellules auditives qui recrutent dans les aigus.

Les coups de boutoir répétés de l’étrier dans l’oreille interne – surtout s’ils sont forcés – tout comme les agressions sonores, viennent léser les cellules auditives proches par différents mécanismes (oedèmes locaux, problèmes de vascularisation) et créent, à la longue, ces lésions définitives, qui témoignent d’une souffrance des cellules auditives contiguës.

Difficile d’accuser la plongée et uniquement elle, dans ces atteintes auditives constatées sur les fréquences aiguës des plongeurs, que le sujet soit jeune ou moins jeune.

La plongée, responsable ?

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En reprenant l’évolution des courbes auditives de plongeurs consultés dans un club d’Ile de France (hors accidents barotraumatiques) depuis 2008, sur un échantillon de 32 plongeurs (apnéistes, plongeurs bouteilles purs, plongeurs bouteille et apnéistes), tous âges confondus, le résultat paraît sans appel :

  • 87% des plongeurs autonomes suivis présentent une atteinte spécifique de la fréquence 6 000Hz (entre le 4 000Hz et le 8 000Hz). Cette atteinte s’élève à 95% des apnéistes et plongeurs bouteilles associés ;
  • Moins de 50% de tous les plongeurs confondus présentent une atteinte concomitante des 4 000Hz et 8 000Hz ;
  • Pour 25% d’apnéistes purs suivis depuis cette date, l’atteinte auditive du 6 000Hz n’existait pas lors du premier examen et apparait dans un délai moyen de 3 ans.

Si l’âge doit être incriminé dans ces lésions auditives spécifiques de la fréquence 6 000Hz, il serait logique de voir le nombre de plongeurs touchés augmenter avec l’âge. Or, pour les apnéistes pratiquant également la plongée en scaphandre autonome comme pour les plongeurs en scaphandre autonome exclusivement, on ne note pas de sur-représentation des effectifs touchés dans les classes d’âge supérieures à 55 ans. L’atteinte est plus nombreuse dans la fourchette d’âge 40-55ans, mais reste en adéquation avec le nombre de plongeurs présents dans le club étudié (plus grand nombre de plongeurs tous confondus dans cette classe d’âge).

On peut ainsi, sans trop de risques de se tromper, affirmer que ce ne sont ni l’âge, ni l’ancienneté de la plongée qui restent en cause dans ces lésions (on peut supposer, arbitrairement, que les aînés plongent depuis plus longtemps que les jeunes), mais bien l’agression pressionnelle répétée par les manoeuvres d’équilibration, particulièrement chez les apnéistes.

Alors, quelle prévention ?

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Fort de ce constat, quelle prévention peut-on proposer ?

La mesure systématique de la fréquence 6 000Hz, qui reste une fréquence peu testée par les ORL. Pourtant, cette fréquence, chez les plongeurs et les sujets soumis à des agressions sonores professionnelles, reste fréquemment la première et, longtemps, la seule fréquence touchée. Son atteinte constitue donc un signe d’appel dont on doit tenir compte, car l’atteinte des autres fréquences aiguës suivra.

Reconsidérer totalement les manoeuvres d’équilibration. La manoeuvre de Valsalva doit être proscrite et l’on doit lui préférer des manoeuvres d’équilibrage douces, comme le Frenzel ou la Béance Tubaire Volontaire (BTV). D’autres techniques peuvent aussi être envisagées, comme le Frenzel mouthfill, pour les apnéistes descendant au-delà d’une profondeur avoisinant les 25 mètres.

Les méthodes de compensation a-traumatiques

• La méthode de Frenzel

C’est une technique utilisée pendant la Guerre par les pilotes d’avions de chasse qui montaient très haut et descendaient très vite : ils étaient donc soumis à de fortes variations de pressions entre la haute atmosphère et la terre. Avec leurs mains sur les commandes de l’avion, ils ne pouvaient pas faire de Valsalva (qui suppose de se pincer le nez) et ont donc mis au point la technique du Frenzel, dans laquelle c’est la langue qui agit comme piston.

Le principe consiste à repousser le voile du palais (voile mou) vers le haut, nez pincé, pour refouler l’air coincé dans les fosses nasales vers le seul orifice laissé ouvert : la trompe d’Eustache. C’est la pointe de la langue, appliquée en arrière des arcades dentaires, qui pousse le voile vers le haut en prononçant le son « KE » (K-lock) ou « TE » (T-lock). Cela impose un impératif : que la glotte soit fermée (et non l’épiglotte, comme il est décrit dans de nombreux ouvrages : l’épiglotte est un cartilage qui bascule automatiquement à la déglutition alimentaire, pour fermer les voies aériennes aux aliments ingérés).

L’étage glottique est délimité :

  • En haut, par les bandes ventriculaires (fausses cordes vocales),
  • Au milieu, par les ventricules,
  • En bas, par les cordes vocales.

Les cordes vocales doivent se fermer totalement pour empêcher l’air de s’échapper. Pour vérifier que la fermeture de la glotte est bien réalisée, un moyen simple permet de s’en assurer : garder la bouche ouverte et essayer de sortir l’air des poumons. Une contraction de la glotte est alors spontanément et intuitivement réalisée.

La méthode de Frenzel doit être bien acquise par les apnéistes : elle permet de descendre sans créer de barotraumatismes de l’oreille moyenne.

• Comment savoir si on est en Frenzel et non en Valsalva ?

Faites quelques compensations, torse nu, face à un miroir :

  • En Valsalva, votre poitrine bouge, car on envoie l’air des poumons aux trompes d’Eustache. Ce volume d’air est important, c’est ce qui crée – avec la répétition – le puissant coup de boutoir sur l’étrier. D’autre part, les poumons se comprimant avec la pression (ils ne font plus que la taille d’un poing fermé à 20 mètres), l’apnéiste pratiquant la Valsalva va forcer sa compensation et abîmer d’autant plus son oreille. La Valsalva ne permet pas à un apnéiste de descendre très profondément et elle « consomme » l’air si précieux des poumons.
  • En Frenzel, votre poitrine reste immobile, car l’air envoyé aux trompes d’Eustache provient des fosses nasales. Ce volume, moins important, est a-traumatique pour les oreilles. Le Frenzel nécessite d’être répété souvent et implique une descente lente, détendue, maitrisée.

• La Béance Tubaire Volontaire

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Comme son nom l’indique, la Béance Tubaire Volontaire est une ouverture active et douce (béance) des trompes d’Eustache. On mobilise les muscles péristaphylins par différentes méthodes qui ont pour but d’ouvrir les trompes sans le moindre traumatisme.

50% des individus arrivent à faire des BTV sans aucune difficulté. Principalement des personnes qui n’ont jamais eu de problème ORL, n’ont jamais fait d’otite pendant l’enfance et qui ont une trompe d’Eustache spontanément perméable : ils arrivent très facilement à plonger « trompes ouvertes ».

Pour les autres, la méthode peut être difficile car elle suppose d’avoir pris conscience des muscles péristaphylins et de savoir les mobiliser pour ouvrir la trompe. Certains n’y arriveront jamais. D’autres auront besoin de faire de la gymnastique de la trompe d’Eustache, c’est à dire de la réeducation, pour améliorer son fonctionnement.

La gymnastique2 de la Trompe d’Eustache permet 2 choses :

  • Mieux connaitre ses oreilles, prendre conscience de ce qui se passe et donc, dans un premier temps, de faire des Valsalva moins agressives,
  • Pour les apnéistes confirmés, plongeant plus profond, remplacer spontanément la Valsalva par d’autres méthodes d’équilibrage de caisse.

La gymnastique tubaire regroupe des exercices qui permettent une ouverture passive, non violente et plus régulière de la trompe d’Eustache. Ces exercices permettent de mobiliser les muscles pertistaphylins, permettant l’ouverture de la trompe. Les exercices se font sur 3 niveaux :

  • La langue : quand on envoie la langue vers l’arrière, le voile du palais monte et cette ascension mobilise les muscles tubaires permettant l’ouverture de la trompe ;
  • La mâchoire : sa mobilisation permet d’actionner le voile du palais et donc les muscles de la trompe ;
  • Le voile du palais, par une action directe : la déglutition. Lors de ce mouvement, en relevant la luette, il y a ascension du voile, mettant les muscles de la trompe en position de tension et permettant ainsi l’ouverture de la trompe.

Pour un apnéiste, l’apprentissage de la respiration comme celui du fonctionnement de l’oreille sont nécessairement sur son parcours.

En conlusion

  • Bannir la méthode de Valsalva,
  • Préférer les descentes lentes, avec un temps d’avance dans l’équilibrage des oreilles (on ne doit ressentir aucune douleur),
  • Privilégier les méthodes de compensation a-traumatiques : Frenzel, Frenzel mouthfill, BTV,
  • Ne pas plonger avec les voies ORL encombrées.

 

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Article inspiré de la section « L’oreille du plongeur, le plongeur en immersion », BLOG ORL du site www.seriniti.fr

1 Réalisée par le Dr HUBINOIS, médecin ORL, médecin fédéral et tabacologue. Publiée dans le magasine SUBAQUA n°275, Novembre-Décembre 2017, p.70-71

2 Frédéric Di Meglio, SUBAQUA Pêche sous marine, n°207, Juillet-Août 2006

 

Sources

© Alex Voyer – Image principale de l’article

© Jean-Charles Granjon – Morgan Bourc’his, Tahiti

© Alex Voyer – La plongée responsable ?

© Alex Voyer – La Béance Tubaire Volontaire (BTV)

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